Un point de vue de physicien sur l'aléatoire

L'interprétation classique de la mécanique quantique prétend que les phénomènes quantiques sont intrinsèquement aléatoires. Lorsqu'une mesure va donner un résultat aléatoire, cela n'a aucun sens de parler de la valeur de la variable mesurée avant que la mesure n'ait vraiment lieu. On ne dit pas que la variable est une inconnue, on dit qu'elle N'EXISTE PAS.

Cet aléatoire est à distinguer de l'aléatoire qui découle d'un manque d'information sur le système. Si je lance un dé classique (non quantique), le résultat est aléatoire. Pourtant, si je connaissais avec précision la position et la vitesse initiale du dé, ainsi que les lois qui régissent son rebond sur le tapis (élasticité, friction, ...) je pourrais calculer le résultat du tirage. Le lancer de dé est aléatoire parce que je n'ai pas les informations nécessaires pour faire cette prédiction.

Ainsi, lorsque nous ne pouvons pas connaître les détails de la dynamique d'un système, nous pouvons l'étudier avec des outils statistiques. La thermo-stat classique en est un bel exemple.

Certains physiciens, dont Einstein, pensaient que l'interprétation de la mécanique quantique est fausse, et que la description statistique qu'elle fait de l'univers ne fait que refléter notre ignorance des phénomènes sous-jacents qui eux, seraient tout à fait déterministes. La méca-Q prétend qu'une même expérience peut donner des résultats différents d'une fois sur l'autre. Selon l'interprétation d'Einstein, cela n'est pas possible. C'est une illusion due au fait qu'on ne répète jamais deux fois la même expérience. D'une fois sur l'autre il y a des conditions qui changent. On les appelle «variables cachées» et sont l' équivalent dans notre exemple de la position et vitesse initiale du dé. Si on y avait accès, on pourrait établir des équations déterministes pour les phénomènes quantiques.

Pendant longtemps on a discuté sur l'existence ou non de telles variables cachées. La seule chose certaine est que dans l'état de la physique à l'époque, elles étaient inaccessibles expérimentalement. La plupart des physiciens utilisaient la méca-Q sans se poser des questions sur son interprétation, se disant que la discussion sur les variables cachées était d'ordre purement métaphysique et que, tant qu'elles n'étaient pas mesurables, leur existence ou non n'avait aucune conséquence expérimentale.

Là, un brillant mathématicien (anglais, je crois) nommé Bell a montré que le seul fait de supposer que de telles variables existent, sans (presque) rien supposer sur leur nature ou leur comportement, a des conséquences expérimentales vérifiables. C'est un très beau raisonnement qui montre que toute théorie faisant appel a des variables cachées conduit a certaines conclusions (les inégalités de Bell), et ceci indépendamment des détails de la théorie.

Il se trouve que la méca-Q VIOLE les inégalités de Bell. Si le monde peut être décrit par une théorie a variables cachées, alors la méca-Q est fausse dans ses prédictions expérimentales (ce n'est plus une question d'interprétation). Cependant, les circonstances où ces inégalités sont violées sont assez marginales et difficiles à produire expérimentalement. Le physicien français Alain Aspect a fait sans doute les expériences les plus propres et plus probantes en ce domaine. Conclusion : les inégalités de Bell sont effectivement violées par les systèmes physiques. Les théories de variables cachées sont donc collectivement RÉFUTÉES PAR L'EXPÉRIENCE. Finalement, on s'accorde à penser qu'il existe dans la nature un HASARD IRRÉDUCTIBLE. La nature n'est pas déterministe. J'avoue que j'ai du mal à me faire à cette idée, mais on n'y peut rien, il faut faire avec.

Parlons un peu de cryptographie. Si je veux crypter un message, je peux le filtrer par une suite de nombres aléatoires (en utilisant un générateur quantique de nombres vraiment aléatoires). Mais alors personne ne pourra le déchiffrer. Il faudrait que mon correspondant connaisse la suite que j'ai utilisée pour pouvoir lire le message. Dans la pratique, le système est infaillible si la suite en question est au moins aussi longue que l'ensemble des messages que je veux crypter avec. Donc je ne gagne pas grande chose. Je voulais faire transiter un message de façon sûre mais pour cela il me faut d'abord faire transiter de façon sûre la clé (la suite aléatoire). Celle-ci étant aussi longue que le message, ce genre de cryptographie a un intérêt limité.

Tout l'art de la cryptographie est d'arriver à utiliser une clé BEAUCOUP plus petite que le message, et donc plus facile à transmettre. Pour cela il faut disposer d'un algo permettant de construire une suite ayant toute l'apparence de l'aléatoire à partir d'une clé beaucoup plus petite que la suite à construire.

Si les inégalités de Bell vous intéressent, je peux essayer de vous en donner un petit aperçu du raisonnement. Si j'étais courageux, je chercherais la référence...

A+. Excusez-moi d'être aussi bavard.

Edgar.


Edgar Bonet <webmaster@edg...>.
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